« Pêcheur de loubines », la photo racontée

Les Sables d’Olonne (plage de la Paracou)

11 mai 2011, 19h43.

A cette heure-ci du soir, à la Paracou comme aux Granges, on rencontre les pêcheurs de loubines qui s’installent sur la plage, certains pour une bonne partie de la nuit. Les « loubines » sont ces petits bars ramenés par la marée montante, que l’on pêche directement dans les vagues s’échouant sur le rivage, et qui, me dit-on sont plus nombreux par temps orageux. Il y a parmi les pêcheurs de jeunes pères et leurs enfants, et à la gravité de leurs mines, on pourrait croire que l’enjeu est vital.

Pêcheur de loubine

Données techniques de prise de vue: 45mm, 170 iso, f/22, 10 sec. (correction d’exposition -0.3 IL).
Filtre gris neutre ND8 monté sur filtre polarisant.

Avant même de me retrouver sur la plage, j’ai choisi de consacrer cette soirée à la pose longue. Travailler en « pose longue » consiste à laisser l’obturateur de l’appareil photo ouvert plusieurs secondes lors de la prise de vue. Cela permet de restituer les mouvements, et notamment ceux de la mer (attention : utilisation du trépied impérative !), grâce à l’addition de filtres vissés directement sur l’objectif, qui réduisent la pénétration de lumière sans en modifier la couleur. Avec des filtres très opaques, et donc des temps de pose très longs, on parvient à donner aux vagues un aspect cotonneux du plus bel effet.

J’ai rapidement repéré cet homme accompagné de son petit garçon (qui n’apparaît donc pas ici). Ils changent souvent de place, au gré des variations de la marée montante. Je les suis discrètement, en retrait, sur la plage, cherchant à capter leurs silhouettes qui se dégagent esthétiquement sur la ligne d’horizon désormais colorée du rouge-orangé du couchant. Les mouvements imprévisibles de mes pêcheurs, peu compatibles avec la pose longue, rendent mes premiers déclenchements difficiles.

Un moment se passe avant que le père se retrouve perché sur l’un de ces rochers, à environ une centaine de mètres de son endroit de départ. Le vieux phare des Barges occupe désormais l’arrière plan, et me donne l’intuition qu’un nombre intéressant d’éléments justifient à présent une bonne photo. Alors que je vais me placer face à mes personnages, le père amorce un retour vers la plage, visiblement décidé à mettre un terme à sa soirée de pêche. L’occasion est pourtant trop belle, et je le prie en criant (le vent et le bruit de la marée ne créent pas les conditions de communication d’un studio !) de faire demi-tour.  Il cherche bien sûr d’abord à en savoir plus, puis rassuré, il repart se positionner, de profil, sur l’un des rochers que je lui indique, respectant mon souhait d’immobilité la plus totale possible. Le vent balaie l’extrémité de la gaule, trop légère pour lui résister, évidemment, d’où la restitution inéluctable de son mouvement en pose longue.

«En “étirant” le mouvement, la prise de vue en psoe longue donne de l’intemporalité à l’image. Mais elle a un autre avantage: elle “extrait” les plus belles couleurs du couchant même à un stade tardif où l’œil nu ne voit quasiment plus que du gris»

J’aime la composition, l’agencement des éléments, dont les silhouettes comptent finalement plus que les détails de chacun. Il y a là une simplicité et un symbolisme qui me font penser à une parabole religieuse. La pose longue y fait beaucoup : en “étirant” le mouvement, la prise de vue en psoe longue donne de l’intemporalité à l’image. Mais elle a un autre avantage: elle “extrait” les plus belles couleurs du couchant même à un stade tardif où l’œil nu ne voit quasiment plus que du gris.

Le travail de post-traitement sera réduit, pour l’essentiel, à un ajustement de la gamme tonale (rendre les blancs bien blancs, les noirs bien noirs, pour simplifier), une légère re-saturation des couleurs et surtout un renforcement de la netteté, souvent mise à l’épreuve lors de prises de vue en pose longue.

Le pêcheur est rentré quasiment bredouille, l’air un peu triste : il aura été la loubine de quelqu’un d’autre.

 

Partagez cet article sur :



Auteur : Antoine Tatin

Antoine Tatin
Né en 1977 et originaire des Sables-d'Olonne, je suis auteur-photographe depuis 2006 et membre de l'UPP (Union des Photographes Professionnels). En parallèle de mes reportages (communication, portrait & mariage, illustration de presse), et de mes stages sur la photographie de paysage, je poursuis un travail personnel associant le littoral à l'humain. Posez vos questions à Antoine Tatin, Spécialiste « Photographie »
Voir tous ses articles